Au moins un ménage malien sur cinq fait désormais face à de grandes carences alimentaires. L’instabilité politique ne fait qu’aggraver la crise, avec quelque 400 000 personnes déplacées à l’intérieur du pays ou réfugiées dans les pays voisins. Antoine Sagara, chargé de programme au secrétariat national de Caritas Mali, et Denise Dansoko, directrice de la Caritas locale de Kayes, témoignent.

En quoi la crise alimentaire s’est-elle aggravée ces derniers mois ?

Antoine Sagara - Alors que le système d’alerte précoce (SAP) du gouvernement malien avait estimé, il y a quelques mois, que 111 des 703 communes maliennes seraient en risque d’insécurité alimentaire, la crise s’est révélée plus profonde. Aujourd’hui, 195 communes sont touchées, soit 3,5 millions de personnes affectées, au lieu de 1,5 million prévu. Les prix des denrées alimentaires ont subi une augmentation entre 33 et 200% selon les régions. Par ailleurs, les éleveurs sont contraints de "bazarder" leur bétail à bas prix afin de pouvoir acheter des céréales pour se nourrir.

Denise Dansoko - Le diocèse de Kayes a subi de plein fouet la pénurie pluviale lors de la dernière campagne agricole, alors que plus de 80% de la population vit d’activités agro-pastorales. Un million de personnes sont en difficulté alimentaire, sur 1,3 million d’habitants de la région. La population a développé, pour survivre, des stratégies de substitution alimentaire. Certains chassent le lapin pour se nourrir. Les femmes vendent leurs bijoux et leurs habits de valeur. D’autres délaissent l’agriculture pour l’orpaillage dans l’espoir de dénicher un peu d’or. Ce phénomène est d’ailleurs de plus en plus courant, même en dehors des périodes de crises alimentaires. En outre, la région de Kayes est réputée pour être une grande productrice de fonio (céréale locale), or dernièrement, le prix d’un kilo de fonio est passé de 200 FCFA à 1000 FCFA (1,50 euros).

Quels sont les répercussions du conflit politique dans le nord sur la crise alimentaire ?

Antoine Sagara - Nous craignons que l’instabilité politique du pays ne fasse qu’aggraver la crise alimentaire. Le nombre de déplacés du nord vers les autres régions a doublé, augmentant la pression sur les ressources de ceux qui les reçoivent. Tant que le conflit politique durera, la crise alimentaire perdurera. Par ailleurs, l’alimentation des populations au nord du pays est difficile. Traditionnellement, le sud du pays ravitaille le nord en céréales or les mouvements intégristes refusent les vivres venant de certaines organisations, comme cela a été le cas pour le Comité international de la Croix Rouge (CICR). En outre, les rebelles et les mouvements islamistes s’accaparent les stocks alimentaires. Un stock du Programme alimentaire mondiale (PAM) a ainsi été détourné. Il n’est plus possible pour Caritas d’intervenir auprès des populations, car les prêtres et religieuses du diocèse ont fui. Ce dernier n’existe d’ailleurs plus. Les bâtiments de la mission catholique sont occupés par le groupe islamiste, Ansar Eddine. Les chrétiens qui n’ont pas fui sont hébergés dans le secret par des musulmans. L’un d’entre eux, qui avait fui à Bamako, m’a raconté qu’un imam leur avait d’ailleurs conseillé de porter le turban et les habits traditionnels musulmans afin de se fondre dans la masse. Jusqu’à aujourd’hui, les chrétiens et les musulmans du nord ont toujours vécu en harmonie. La haine a été attisée par les groupes islamistes.

Dans ce contexte, l’aide promise par le gouvernement pour les personnes en situation de crise alimentaire est-elle toujours efficace ?

Antoine Sagara - La réponse du gouvernement est actuellement en veilleuse puisque l’État ne fonctionne pas et n’a pas de pouvoir. Ce sont donc les organisations telles que le CICR, le PAM, Caritas, qui prennent la relève.

Quelles aides sont fournies par Caritas ?

Antoine Sagara - Les actions concrètes d’aide commenceront concrètement d’ici une semaine. Jusqu’à présent nous avons réuni les fonds et envoyé le matériel et les céréales aux différents diocèses du Mali. Nous venons en aide à environ 60 000 personnes à travers une distribution gratuite de céréales pour des personnes qui n’avaient rien récolté l’année dernière, soit 16 000 personnes. Pour ceux qui ont réussi à obtenir une petite production, nous leur vendons des céréales à prix subventionné. Cela signifie qu’ils payent la moitié du prix sur le marché actuel, ce qui revient aux prix pratiqués l’année dernière ! 59 greniers communautaires seront réapprovisionnés, à prix subventionné également. Nous réaliserons également ce que l’on appelle le "food for work". Il s’agit de rémunérer par de la nourriture des personnes qui participent à des travaux d’intérêt publique. Enfin, une aide en semences céréalières et maraîchères sera fournie gratuitement à ceux qui en ont besoin. Ces activités devraient permettre aux paysans de cultiver leur champ pour la prochaine campagne agricole tout en ayant le ventre plein.

Peut-on déjà faire des prévisions sur la prochaine campagne agricole ?

Antoine Sagara - Non, car cela dépend de la pluie. Nous espérons tous qu’il pleuvra suffisamment et régulièrement. Je n’ose pas imaginer la situation dans laquelle seront les Maliens si la récolte de cette année est aussi mauvaise que celle de 2011-2012 !

Propos recueillis par Clémence Richard