Voeux de l'Archevêque de Bamako au president de la republique

Excellence Monsieur le Président de la République ;

Monsieur le Ministre de l’Administration Territoriale et des Collectivités locales,

Monsieur le Ministre des Affaires Religieuses et du Culte,

Monsieur le Ministre de la Décentralisation et de l’aménagement du Territoire,

Mesdames et Messieurs les Membres du gouvernement,

Monsieur le Gouverneur du District de Bamako,

Monsieur le Maire du district de Bamako,

Très vénérables notabilités, représentant les familles fondatrices de Bamako,

Très Honorable frère El Hadj Mohamoud DICKO, Président du Haut Conseil Islamique du Mal et vénérables membres de sa délégation,

Révérend Pasteur Youssouf DEMBELE Délégué général de l’Association des Groupements des Eglises du Mali, et vénérables membres de sa délégation,

Distingués Invités,

Mesdames et Messieurs

Aw  bè ni sogoma !

Alla yé an si hèra la. Alla k’an tlé hèrè la !

Alla yan kafo fasso blomba ni kono hèrè la

Alla ka an fara hèra la k’an ségui so hèrèla !

A quelques heures de la célébration de la fête de Noël, fête qui commémore la naissance de Jésus Christ dans notre monde, je viens, Mr le Président de la République, avec une petite délégation, au nom de l’Eglise Catholique du Mali, vous présenter les meilleurs vœux de Bonne et Heureuse année 2013.

 

Excellence, Monsieur le Président de la République,

Depuis bientôt un an, notre cher pays, le Mali est devenu tristement célèbre. Il offre quotidiennement aux médias du monde entier le type d’information dont ceux-ci  sont friands : guerre,  coup d’Etat, rébellion, occupation des deux tiers du territoire par un mélange hétéroclite de groupes armés. Tout cela est accompagné de son lot de souffrances : exil pour nos compatriotes, vols, viols, persécutions, exactions de toutes sortes, destruction de monuments et profanation des tombes et des édifices religieux, et surtout des mis à morts de manières atroces.

Oh ! Dieu prend pitié de nous ! Notre terre s’est abreuvée de sang et s’est refermée sur tant de morts. Oh ! Seigneur Prends pitié !

En cette cérémonie de fin d’année, comment ne pas recommander au Seigneur, nos frères et sœurs du nord qui connaissent une année difficile ! Comment ne pas recommander au Seigneur, tous ces morts, ces blessés, ces orphelins, ces veuves, ces refugiés dont les familles sont affectées de façon particulière par la crise.

Alla ka hiné taabaw là

Alla kuw dayoro suma !

Alla ka kènèya di banabatow ma !

K’u ségui u yèrèma !

Minuw tara u kunfè, Alla kuw ségui so hèrè là !

Un temps de deuil national ne nous fera-t-il pas davantage prendre conscience de la gravité de ce que nous vivons ? Il nous guérira de nos indifférences, de nos ambitions, de la folie meurtrière qui s’est emparée de nous.

Excellence, Monsieur le Président de la République,

Depuis bientôt un an, notre cher pays piétine, tourne en rond, s’exténue en marches et meetings de toutes sortes. Les hommes et femmes politiques, embourbés dans leurs contradictions, mobilisent et immobilisent, incitent à la violence aveugle et meurtrière les pauvres populations en quête d’un sens à donner à tout cela.

 Depuis bientôt un an, notre cher pays, le Mali, malgré les ultimatums de la Communauté internationale, et les aspirations du peuple, s’essaye à une gouvernance précaire. En effet, en quelques mois, deux (2) premiers ministres et trois (3) gouvernements – Un véritable record -, ces rendez-vous manqués autour des concertations, tout cela ne milite pas en faveur du sérieux d’un pays assiégé et dont la population commence à douter de la sincérité des gouvernants et de leur engagement désintéressé !

Les communautés internationales, régionales, et sous régionales ont fait ce qu’elles ont pu. Elles ne peuvent aucunement, à elles seules sortir le Mali de la situation où il se trouve aujourd’hui. Beaucoup de proverbes du terroir disent que le responsable d’un deuil ne peut transférer cette responsabilité à une autre personne, il faut s’assumer. La balle est dans le camp des Maliens désormais et il serait dangereux de différer indéfiniment les responsabilités qui sont les nôtres.

Ni i ko ayé ndèmè ka wara faga, o ya soro, a kun bè i bolo !

Excellence, Monsieur le Président de la République

Au regard de tout ce dont le Mali a souffert et continue à souffrir encore, pour un temps dont Dieu seul connait la durée, nos attentes, celles de toutes les maliennes et de tous les maliens et de leurs très nombreux amis à travers le monde, se retrouvent dans ce mot à quatre lettres : P A I X ! – Hèra, Lafia

Alla ma hèra kèra an yé, Alla ka jamana bassigui. Alla ka jamana lafia, ni o tè do kèra sa dé ! Jiguiw bè ka missen ya !

C’est pourquoi, je voudrais souhaiter, à vous, à votre famille et à tout le peuple malien, beaucoup d’espérance et de confiance en Dieu et en Dieu seul.

     Excellence, Monsieur le Président de la République,

Nous aspirons de tout cœur à la Paix.

« Heureux les artisans de paix ; car ils seront appelés Fils de Dieu », nous dit Jésus.

  1. Mais comment instaurer la Paix dans un Mali, où le paraître est en passe de l’emporter sur l’être ?
  2. Comment instaurer la paix dans un Mali, où l’alliance sacrée entre l’avoir et le pouvoir est en passe de l’emporter sur toutes les valeurs morales et sociales ? La fin justifie les moyens ?
  3. Comment instaurer la paix dans un Mali en passe de devenir une jungle, où la raison du plus fort, du plus riche, du plus rusé est toujours la meilleure ?
  4. Comment instaurer la paix dans un Mali en passe de devenir un milieu florissant d’affaires de toutes sortes : trafic d’armes et de drogues, prise d’otages et sacrifices humains ?
  5. Comment instaurer la paix dans un Mali en passe de devenir ce pays, où tout se vend, tout s’achète : diplôme, contrat d’embauche, note d’avancement professionnel, grades, titres fonciers, passation de marché, etc. ?
  6. Comment préserver la paix dans un Mali, où le fondamentalisme et le fanatisme se sont manifestés en mutilant, en châtiant, en opprimant et tuant l’homme, soit disant pour honorer et glorifier Dieu, qui, pourtant, nous dit : « Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive » ?
  7. Comment rétablir la paix dans un Mali qui vit la partition de son territoire, les mésententes politiques, civiles et militaires ?
  • Comment instaurer la paix dans un tel Pays ?

Il s’agit de la paix véritable, celle qui nous vient de Dieu. Elle est structurée et vivifiée par l’amour qui, non seulement, nous fait ressentir comme nôtre les besoins et les exigences des autres, mais aussi qui nous fait vivre avec les autres et pour les autres.

Excellence, Monsieur le Président de la République,

Nous sommes conscients que vous êtes en période transitoire et que tous ces maux ne sauront être résolus pendant ce temps, vu les mandats qui sont les vôtres et ceux de votre Gouvernement.

C’est pourquoi, permettez-moi de vous souhaiter, de pouvoir faire face aux deux défis que tout le peuple malien connaît qui sont les siens avant d’être les vôtres et dont vous avez aujourd’hui la lourde responsabilité. A ce sujet, nous sommes heureux des différentes avancées constatées dans les pourparlers en vue de la libération du Nord  et  la perspective qui s’ouvre de voir une vraie révision du ficher électoral pour assurer des élections transparentes en 2013 et en 2014 (communales) afin de faire face à des réformes institutionnelles de fond.

Permettez-moi, donc, de vous souligner l’impérieuse nécessité d’assurer la tranquillité et la sécurité pour le Malien qui, à tout moment, peut voir sa vie basculer.

Permettez-moi, aussi, de vous signaler que malgré une pluviométrie abondante, des poches de crise alimentaire persistent, des inondations ont causé des pertes et les éternelles querelles du foncier avec leur cortège de victimes subsistent un peu partout.

Excellence, Mr le Président,

Mais plus que tout, je voudrais signaler une situation explosive, si on n’y prend pas garde : Le désœuvrement de la jeunesse. Oui, la jeunesse, notre jeunesse. Nos élèves et étudiants, nos jeunes ruraux ne savent plus s’ils possèdent une patrie. Cette catégorie de réfugiés et de déplacés plongerait le pays dans une situation encore plus dramatique que celle dans laquelle nous sommes.

Si tous les autres aspects sont du présent ou du futur proche, l’avenir du pays se trouve dans ce que nous réserverons à nos enfants. Toute gestion doit donner un avenir à notre jeunesse ! Prenons garde que cette jeunesse, notre avenir ne soit pas la sacrifiée de notre Démocratie.

Excellence, Monsieur le Président de la République,

Malgré tout cela, laissons nos cœurs vibrer de confiance et d’espérance en Dieu. Dieu est miséricordieux. Il nous aime malgré nos atteintes graves à la vie et à la dignité de l’homme qu’Il a créé à son image et à sa ressemblance. Il changera nos cœurs de pierre et en cœur de chair.

Oui ! Dieu nous aime. Il aime le Mali. Il nous en a donné des signes forts. J’en ai retenu 7, chiffre parfait symbole de l’égalité et de la complémentarité entre l’homme et la femme.

Cè bèrè yé saba yé

Musso bèrè yé nani yé

1er signe :

Le premier signe de Dieu, je le trouve dans le contraste entre  notre comportement  et celui de Dieu, spécialement durant la  dernière saison des pluies. Malgré les inondations par-ci par-là.

An tun fama na ni samien nyogon ma !

K’an to mugu ci ba la, nyogon dogoya ani nyogon sibanli la, Alla ma sanji tigè an an ! O ma kè ni san peren yé wa a ma kè ni san finyé ba yé ! An tè sabali ?

Tandis que nous semions la terreur, la haine, la mort, Dieu arrosait notre terre, et ce gratuitement. Il a semé la vie, le bonheur pour tous, les justes et les injustes !

A barika Alla ye !

An ka sabali ! An ka sabali dè !

2ème signe :

Dieu nous aime. Il nous demande de l’imiter :

Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout cœur et de toute ton âme et de toute ta force ! Tu aimeras  ton prochain comme toi-même !( Mt 22,37-39).

Excellence, Monsieur le Président,

Le drame que nous connaissons a suscité un grand élan de solidarité  et de partage tant au niveau national qu’au niveau régional et international !

A barka Alla yé !

Cependant, il nous appartient de veiller à la bonne gestion des dons reçus. Si hier ceux de notre génération ont entendu parler, des 4 V= Villas, Voiture, Verger, Virement, de la grande sécheresse des années 70. Plaise à Dieu que l’on ne nous fasse les mêmes  reproches : les 4 V du conflit du Nord !

K’i bugu dèssè batow ani kolibatow ni yoro kan

O mandi Alla yé dè !

Alla k’an dèmè ka O kèlè !

Fantanw ni yoro ki bugu o kan, o fana mandi Alla yé dè !

3ème signe :

Dieu nous aime. Son Esprit de Sagesse nous le fait découvrir dans un 3ème signe, celui de former un peuple, un but, une foi.

Le renforcement d’une telle conviction, d’une telle volonté, n’a jamais été aussi remarquable qu’en ce temps de conflit. Dans toutes les déclarations, en effet l’option pour un Mali Uni et indivisible, l’intégrité territoriale est reconnue comme non négociable.

Puissent nos actes et nos paroles de chaque jour au nord, au sud, à l’Est et à l’Ouest dans nos villes comme dans nos villages, témoigner de la sincérité de nos déclarations.

4ème signe :

Dieu  nous aime. Il nous appelle à vivre ensemble dans un Mali pluriel. Un pays qui se veut respectueux des libertés fondamentales, spécialement la liberté religieuse. La laïcité est une option irréversible. Cependant, elle n’est jamais acquise une fois pour toute. Il appartient à chacun et à chaque génération de s’éduquer et d’éduquer à promouvoir la liberté et la laïcité.

Plaise à Dieu, de nous aider à faire du tout nouveau ministère des affaires religieuses et des cultes, une structure appropriée pour une telle mission.

5ème signe

Dieu nous aime ! Oui ! Dieu nous aime malgré nos oppositions, nos refus du dialogue, nos révoltes parfois violentes. C’est lui-même qui, par sa sagesse, a guidé et continue de guider toutes les négociations et rencontres nationales, régionales et internationales pour nous conduire quand et comment Il le voudra vers la Paix.

Alla m’an tora Alla ko !

6ème signe

Dieu nous aime ! Il nous a créés à son image et à sa ressemblance. Pour protéger et défendre cette image, il nous a donné 3 secrets pour lutter contre les forces du mal, Satan:

- Le jeûne

- La prière

- Le sacrifice dans l’observance de la volonté de Dieu.

Puisse lui-même purifier et raviver notre ferveur et notre persévérance, dans le jeûne, la prière et le sacrifice dans l’observance de sa volonté !

7ème Signe

Dieu est amour !

Le 7ème et dernier signe de son amour, nous l’avons dans cette prière de Jésus sur la Croix. C’est une prière de pardon : « Père pardonne-leur,  car ils ne savent pas ce qu’ils font » Lc 23,34.

Monsieur le Président,

Lors de votre retour au pays,  vous nous avez apporté le même message : « Je pardonne à mes agresseurs ». Ce pardon, si j’ai bonne mémoire, les responsables des Partis RDA et PSP se l’ont donné dans une cérémonie émouvante, dont j’ai été personnellement témoin. C’était au CICB, à l’occasion de la célébration du cinquantenaire de notre Indépendance. A cette même occasion, le tableau scénique au stade Modibo KEITA se terminait par cette phrase : Seul le pardon est grand !

Tout cela, pour dire, Mr le Président, que tous nos rêves, nos ambitions de prospérité, d’unité et de paix pour le Mali passent par le pardon et la réconciliation des cœurs. Est-ce trop nous demander Monsieur le Président, de nous pardonner mutuellement ?

Alla k’an son ben ani sabalila

Dan té digné na sabaliko

Plaise au Tout Puissant, de vous accorder à vous, à vos conseillers, au Premier Ministre et ses collaborateurs, aux leaders politiques et religieux, aux responsables de la société civile, à tous les maliens et maliennes, sa Sagesse, pour que le Mali retrouve au plus vite la paix et l’unité, au cours de la nouvelle année 2013.

An ye min ye ngninan, Alla ma an kisira o ma san coura nata kono.

Alla ka jamana basigi kelenya, ani badenya, ani hera la!

Si ani kènèya Alla ka o di ma !

                                                                            + Monseigneur Jean ZERBO

                                            Archevêque de Bamako